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-- Téléchargez Space cake / épisode 04 en PDF --


Tu ne te souviens évidemment pas de la monitrice, je veux dire de son identité, qui elle est et ce qu’elle est devenue. Comment se souvenir d’une adulte à qui on n’avait rien à reprocher ? Pour preuve, tu racontes souvent, avec complaisance, cette histoire de fessée punitive comme s’il s’agissait d’un gag vu les obstacles à surmonter pour embrasser de nouveau. Et puis, c’est tout de même trois fois rien, il y a d’autres traumas infantiles autrement plus dévastateurs qu’une interdiction de sexualité. Les enfants ne sont pas rancuniers, ils intériorisent pour mieux extérioriser plus tard mais sans le savoir, disons sans le comprendre. Tu ne pouvais ni la détester durablement, ni lui imputer ta timidité, laisse-moi me charger de la besogne, pas évident qu’elle porte ses fruits mais je vais essayer.
Alors, tu ne te souviens pas du personnage, pourtant elle a beaucoup fait parler d’elle. Je crois qu’elle s’appelle Jessica, qu’elle s’est mariée quelques années après avoir été monitrice, puis directrice, des colonies de vacances de Champigny. Jusque-là rien de spécial. Mais une journaliste de la presse quotidienne de l’époque a rapporté l’étonnante découverte faite par la police dans un pavillon de la banlieue parisienne : un couple retrouvé ligoté et bâillonné sur deux chaises, le voisinage alerté par leurs cris. Ces cris n’étaient d’ailleurs que ceux de Jessica ayant réussi, en se tortillant, à se dégager du bâillon et appeler à l’aide. Ce qui ressemblait d’emblée à un cambriolage, dans ce cas à une agression avec intrusion et séquestration, était augmenté d’une mise en scène pas banale qui laissait songeur quant aux intentions des agresseurs : Jessica et son mari, Lucien, étaient recouverts de sperme.
On pencherait pour le viol, sauf que les deux ligotés étaient complètement habillés, leurs vêtements même pas froissés, ne serait-ce qu’un peu. Est-ce que le spectacle de ce bondage aurait excité les cambrioleurs au point de leur donner le goût de se masturber sur leurs prisonniers sidérés ? Non, car un détail changeait la donne, la quantité de sperme se mesurait en litres, même trente agresseurs ne pouvaient en décharger autant pour qu’il reste frais et dégoulinant jusqu’à l’arrivée de la police sur les lieux. Jessica et Lucien ont eux-mêmes donné l’explication : l’un des deux agresseurs a obtenu que Lucien attache Jessica puis la bâillonne tandis que lui se chargerait de l’attacher à son tour, puis il a renversé deux bouteilles pleines de la semence sur leurs têtes. Cette odeur âcre les a terrorisés car ils craignaient évidemment la suite, d’autant qu’un complice cavalant à l’étage s’apprêtait à rejoindre son pote dans son rituel pornographique. Pas du tout, sans un mot, les deux voyous ont détalé une fois leur performance accomplie.
Ainsi, l’inspecteur chargé de l’enquête, notant soigneusement les déclarations des plaignants, avait deux cagoulés en magasin, un pistolet prolongé d’un silencieux ou quelque chose du genre, aucune tentative de viol, des assaillants peu bavards aux silhouettes frêles, mais pas le plus petit objet dérobé, ni la moindre trace d’effraction sur la porte d’entrée du pavillon. Peu d’indices donc, pas de quoi mobiliser le Quai pour retrouver les fuyards non plus, probablement une vilaine blague mais avec arme de poing tout de même. Son premier élan a été de douter des propos tenus par les deux supposées victimes, ce qui redoubla leur colère. Comme leurs cris l’ont énervé à son tour, il a discrètement averti une amie journaliste qui s’est vite emparée de l’affaire. Stupre, purée blanchâtre collante et visqueuse, odeur de partouze, rôdeurs ayant braqué une banque de sperme, vidéo circulant sur des réseaux spécialisés, le lectorat en a eu pour son argent. Inversement, l’enquête administrative s’en est évidemment tenue aux faits : il s’agissait d’une vengeance improvisée d’agresseurs ne trouvant aucun objet de valeur pour leur butin, d’accord mais pourquoi deux bouteilles remplies de sperme, alors plutôt une vengeance préméditée avec intimidation visant au chantage, au racket, ou pourquoi pas un manifeste de pervers à la sexualité déviante et théâtrale, autant de pistes plausibles.
Les ragots se sont chargés de toutes les autres dont celle-ci : Jess et Lulu se faisaient chier au lit, ils ont mis un peu de piquant à leur affaire, ont réglé la mise en scène dans ses moindres détails, en répétant les gestes, en s’entraînant la nuit le jour et après les heures de bureau. Ils voulaient qu’on les voie dans cette horrible posture, que leurs sauveteurs soient surpris par l’odeur rien qu’en poussant la porte de la pièce et qu’un sentiment de dégoût mélangé à de l’excitation sexuelle les saisissent. Il y a bien des gens pour qui la baise est un roman, au moins un spectacle, un spectacle de soi, alors comment ne pas imaginer Jessica dire à Lucien : Give me five mon Lulu, maintenant on a le matos, au lit ! Cette spéculation était très méchante vu que personne n’avait les conclusions de l’enquête. Nos deux habitants ne traînaient pas de réputation particulière dans le quartier, alors des pratiques secrètes ou des fréquentations douteuses, pourquoi pas, mais bon. L’affaire est restée opaque car un seul fait fut avéré : plus aucune nouvelle agression spermatique n’a été signalée sur zone. Le quartier a vu fleurir les alarmes et les verrous additionnels pour rien. Et peut-être que Lulu s’est soudainement mis à décharger des litres de sperme sur sa comédienne d’épouse ? Hormis eux deux, personne ne sait.

 

à suivre….. 

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