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mon corps n’a jamais supporté le cadre.

mon corps a failli en mourir.

mon corps a tenu, m’a tenue.

mon corps est devenu mon allié le plus précieux, le jour, il y a plus de 20 ans, où j’ai cessé de le prendre pour un fauteuil roulant chargé de déplacer mon cerveau, pour le prendre comme conseiller.

mon corps est le plus efficace des détecteurs de cadres.

mon corps se sent à l’étroit dès qu’un cadre s’approche de moi (ou moi de lui, certains cadres n’ont pas l’air de cadres à première vue).

mon corps donne l’alerte bien avant que mon benêt cortical ne se réveille, pris qu’il est dans ses élucubrations rationnalisantes.

mon corps peut pousser jusqu’au mal de dos, la panne digestive, voire la migraine si le benêt cortical se met à discutailler pour justifier son aveuglement (il est parfois très fort).

mon corps s’apaise et se détend dès que le cadre s’éloigne de moi ou moi de lui.

mon corps est un compagnon parfois difficile à vivre.

mon corps se rebelle quand je suis tentée – quand même – de rentrer dans le cadre – certains cadres ne sont-ils pas [très voire trop] confortables, sinon pourquoi y  aurait-il une telle foule dedans ? j’aimerais bien parfois me leurrer tranquillement sans que ça se torde, tende, fatigue, assomme, se dérègle.

mon corps se calme dès que je sors du cadre, tant que je ne l’ai pas fait, il insiste, c’est pénible à vivre. si envers lui pourtant, je ressens parfois de l’agacement, plus souvent je ressens de la gratitude.

mon corps est une boussole fiable. un GPS. un compas précis.

mon corps souvent fait un pas de côté, au risque de me faire trébucher, pour changer mon point de vue, et souvent aussi plusieurs en arrière pour me permettre de voir la grande image.

mon corps a largement contribué à ce que mes textes, performances, vidéos, photos, etc. soient ce qu’ils sont, c’est-à-dire en accord profond avec celle que je suis. et non pas avec ce que je crois qu’on attend de moi ou avec le petit tas de croyances et d’opinions que je peux avoir sur ce que ceci ou cela devrait être.

mon corps est le garant de mon intégrité.

mon corps m’oblige à revenir à moi.

mon corps se sentait un peu seul au milieu des fauteuils roulants, quand il a rencontré Deborah Hay, chorégraphe américaine que les bios qualifient d’expérimentale.

mon corps a eu la chance d’adapter et d’interpréter un de ses énigmatiques solos, en 2012, I think not qu’elle m’a transmis lors de l’avant-dernier des 14 Solo Performance Commissionning Project qu’elle a dirigés.

mon corps rend hommage aujourd’hui à celle qui est aussi l’auteure de My Body : The Bouddhist[1]. j’ignorais qu’il faisait cela quand j’ai écrit la première phrase. je le découvre à la dernière.

mon corps est facétieux.

mon corps aime entrer dans l’inconnu.

mon corps me conduit là où mon benêt cortical n’irait pas : ainsi de ce diptyque.

mon corps, longtemps avant de danser I think not, déjà faisait ce qu’il faut lorsque je parvenais à ne pas penser. mais moins souvent. I think not était fait pour mon corps, on dirait, ou plutôt pour mon benêt cortical qui n’aime pas ne pas penser.

mon corps, longtemps avant de danser I think not, a pris ces photos sans que j’y pense.

mon corps, depuis qu’il a pris ces photos, a renouvelé  ses cellules totalement deux fois. il ne doit rien lui rester d’alors (fois 2) en conséquence de quoi, et pour répondre à son insistance aujourd’hui, j’ai modifié le diptyque. peu, mais assez pour que mon corps respire mieux avec ses cellules d’aujourd’hui. respirer mieux, c’est ce que je tiens à lui offrir, car

mon corps m’accompagnera jusqu’à mon dernier souffle (ou peut-être est-ce l’inverse ?) si je peux d’ici là lui procurer une respiration vaste et confortable en l’écoutant sans discuter, quand il repère les cadres et m’en montre la sortie, nous irons loin ensemble.

[1] paru en français sous le titre Mon corps, ce buddhist (Les presses du Réel – 2007).

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